LE DIAGNOSTIC : QUAND PENSER AUX TROUBLES DE TYPE APHASIQUE ? Imprimer


Les troubles de type aphasique peuvent se manifester au niveau des différents comportements linguistiques : parole (articulation, prosodie), langage (agrammatisme, manque du mot), lecture (déchiffrage, compréhension du texte), transcription (dictée, copie, spontané). Nous ne changeons pas « d'étiquette », nous ne parlerons pas de dysphasie, de dyslexie ou de dysorthographie, il s'agit toujours de troubles de type aphasique et l'instrument thérapeutique (les exercices utilisés) reste le même.

Ces dysfonctionnements linguistiques peuvent s'observer dans tous les contextes de déficiences, qu'elles soient intellectuelles, sensorielles ou psychologiques. Ainsi on ne réfutera pas le diagnostic chez des trisomiques, ou chez des enfants pour lesquels les tests de niveau pratiqués ont montré une efficience intellectuelle limitée. Il en sera de même pour les malentendants ou les malvoyants. Les troubles de personnalité peuvent aussi être associés à ces troubles linguistiques, leur dépistage à l'occasion du bilan ou leur suivi antérieur par un pédopsychiatre n'empêcheront pas de porter le diagnostic de troubles linguistiques de type aphasique. Mais il est évident que si le diagnostic peut être évoqué dans ces contextes, l'abord thérapeutique - par un travail aphasiologique qui est « univoque », le même pour tous - n'est pas toujours possible s'il y a un refus ou des troubles du comportement majeurs. Cette position est une différence première avec la définition de la dysphasie, qui, pour être retenue, suppose qu'il n'y a pas d'autre déficience.

Chez le jeune enfant, il faut faire un diagnostic différentiel avec le retard de parole et de langage «physiologique» qui veut que jusque vers 4 ans et demi / 5 ans, un enfant peut très bien ne pas parler ou parler très mal sans pour autant présenter une pathologie du langage. Cependant, lorsque le sujet présente une sorte d'état de sidération, comme ne se rendant pas compte qu'il pourrait parler et surtout n'implorant pas pour arriver à parler, ne manifestant pas de souffrance (ce qui traduirait plutôt une origine psychologique), on peut évoquer l'expression à l'oral des troubles de type aphasique. Il faut aussi s'assurer de l'absence de syndrome pseudo-bulbaire (mauvaise commande des organes bucco-phonatoires d'origine neurologique, entraînant un nasonnement, une indifférenciation articulatoire majeure, avec des troubles de déglutition et un bavage). L'association de troubles de type aphasique à un syndrome pseudo-bulbaire aggrave l'incapacité motrice des organes bucco-phonatoires.

Les atypies des apprentissages de la lecture sont caractéristiques: soit il est absolument impossible d'installer la correspondance son/graphie, quel que soit l'abord; soit cela est possible et le déchiffrage peut se faire mais ces acquisitions n'ont aucune stabilité - au retour des vacances tout est oublié; soit la production est totalement erronée, l'allure est lente et hésitante, le patient invente ou saute des mots ou des lignes. Cela peut persister assez longtemps et devient de plus en plus caractéristique, résistant à une rééducation intensive ou à différentes techniques.

L'écrit peut montrer une méconnaissance totale du « statut » linguistique des lettres: la production est une guirlande ou des tortillons, sans absolument se rendre compte de l'anomalie. Il ne s'agit pas bien sûr des premières productions d'un petit enfant ou de celles d'un enfant névrotique, mais cela peut persister jusqu'à l'âge de onze ans. Cela n'a rien à voir, ni avec des difficultés pour les « pré-requis », ni avec des problèmes visuels, ou des difficultés d'orientation, et relève encore moins d'une dyspraxie.

L'impossibilité de comprendre la relation entre l'oral et l'écrit peut donner en dictée un jargon total (lettres sans rapport avec ce qui est dicté ou ce qui veut être écrit spontanément), impossible à corriger. Puis les difficultés d'orthographe relèvent aussi des séquelles des troubles de type aphasique, même à un âge avancé: éléments de jargon, serpentins (plusieurs mots en un seul), très nombreuses erreurs dont certaines ne pouvant pas relever de la dysorthographie (confusion de consonnes sans rapport avec des difficultés de graphies, de proximité ou de conscience phonétique), erreurs variables pour des mots très simples; contraste variable entre le texte dicté et le texte spontané.

La compréhension du texte lu peut être impossible et entraîner un « découplage déchiffrage/sens » : une impossibilité à accéder au sens, même et surtout pour un texte très simple, sans rapport ni avec l'attention, ni la concentration, ni la connaissance de la langue ou le vocabulaire. Il s'agit de la défaillance du fonctionnement quasi automatique qui permet par le déchiffrage d'accéder au sens. Cette anomalie est très fréquente et peut se voir chez des adolescents ou des adultes - même s'il n'y a pas eu au préalable de manifestations des troubles de type aphasique.

Il n'est pas possible de rapporter tous les signes évocateurs. Il faut simplement savoir que lorsque l'abord orthophonique classique ne donne pas suffisamment de résultats ou lorsque les troubles sont majeurs (absence totale d'apprentissage, guirlande, jargon graphémique total), il ne faut pas évoquer des troubles de la concentration ou de l'attention, ou un éventuel dysfonctionnement neurophysiologique nécessitant la prescription de Ritaline, ou réclamer une rééducation « intensive », ou enfin chez des petits non-parleurs adopter le Makaton voire la langue des signes, avant d'avoir évoqué les troubles de type aphasique. Il ne s'agit pas seulement d'étiqueter un trouble, mais d'appliquer sans perdre de temps le traitement qui convient et qui le plus souvent réussit.